Titre : Interview de Mike Oldfield pour MusicRadar par Henry Yates (22 septembre 2017)
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Interview de Mike Oldfield pour MusicRadar par Henry Yates (22 septembre 2017)
Après plusieurs mois de silence - autant du côté de Mike Oldfield que du nôtre... - voici qu'une récente interview a fait son apparition sur la toile pour le compte du magazine musical Guitarist. Reprenant pas mal de sujets déjà abordés dans les précédents entretiens lors de la sortie de Return To Ommadawn, ce papier a tout de même le mérite de nous en apprendre un peu plus sur la phase de conception de ce nouvel album - en s'attardant sur le matériel et les techniques utilisés - et sur la vision plus générale que le compositeur porte sur la musique d'aujourd'hui.Cela fait toujours plaisir de lire des nouvelles de notre multi-instrumentiste préféré, et je vous propose donc, comme toujours, une traduction de cet entretien en français. Pour ceux que ça intéresse, la version originale est de tout façon disponible sur le site de MusicRadar.com.
A part cela, rien de neuf, les nouvelles sont rares depuis la sortie de RTO et on imagine que Mike est toujours occupé à son prochain album Tubular Bells IV, la suite des rééditions de son catalogue Virgin, ou les deux... Bref, soyez certains que toute l'actualité continuera d'alimenter ce site au fil des news, donc restez en ligne !
Bonne lecture.
Introduction
Quand le monde de Mike Oldfield s’est effondré en 2012, il a trouvé le salut dans un nouvel album qui a ravivé l’esprit de ses travaux des années 70. « C’est une vieille histoire, » raconte l’énigmatique compositeur de Return To Ommadawn. « De la souffrance émerge la beauté… »Un appel vidéo par Skype avec Mike Oldfield est susceptible d'éveiller des pointes de jalousie. Il est 10h du matin aux Bahamas, et tandis que l’auteur-compositeur active sa webcam, l’arrière-plan évoque une publicité de Bounty. Des palmiers bruissent au gré de la douce brise. Un hors-bord file insouciant sur la baie.
Oldfield joue avec ses commandes médias sur la terrasse en bois de sa maison, sans doute grandiose, et se tourne vers sa propriété. « Je suis assez gâté. Il y a même un magasin de guitares bien fourni à tout juste un mile d’ici. Donc si j’ai besoin d’une guitare ou d’un jeu de nouvelles cordes, c’est juste en bas de la rue. »
En regardant le monde d'Oldfield, l'artiste semble sous toutes les coutures incarner la légende rock inopinée, vivant dans une utopie financée à coup de royalties. Ne soyez pas dupes. L’homme de 63 ans est, à juste titre, fier de son dernier album, Return To Ommadawn, mais ces beaux instrumentaux frissonnants – tout comme ceux de son prédécesseur de 1975, Ommadawn – sont nés de toutes les pires choses que la vie peut faire subir à un homme. Une longue bataille juridique. La disparition de son père. Le décès de son fils de 33 ans.
« C’est une vieille histoire, » dit-il en roulant une cigarette. « De la souffrance émerge la beauté. Il semble que quelqu’un de satisfait dans sa vie, est incapable de produire assez de puissance émotionnelle. Ça doit venir de quelque chose qui vous hérisse véritablement le poil. Les circonstances de ces quatre dernières années m’ont rappelé la situation que j’avais dans les années 70.
Cette décennie 70 a fondé le schéma d'une longue carrière faite de hauts et de bas. Devenu trop grand pour le circuit folk de Reading, le jeune guitariste réalisa un album avec sa sœur, puis joua de la basse pour Kevin Ayers, le charmeur psyché-rock, avant d’essayer de vendre la démo de ce qui deviendra le Tubular Bells en 1973 à une industrie indifférente. Tout le monde refusa, excepté un Richard Branson âgé de 22 ans, qui en fera alors la sortie inaugurale de Virgin Records.
« J’ai toujours eu comme un sixième sens, » Oldfield renvoi à l’opus prog en deux partie qui lui aurait fait atteindre doucement les 17 millions de copies vendues. « Je reprenais ma petite bobine et je ne comprenais pas. Comment ne peuvent-ils pas voir ? Puis le destin l’a rendu possible, à travers Virgin qui m’a permis de le faire. »
La grâce celtique
A 19 ans tout juste, le multi-instrumentiste précoce était crédité sur tout l’album Tubular Bells – superposant une vingtaine d’instruments allant du glockenspiel à la flute irlandaise – mais son inimitable touché à la guitare était déjà prédominant.« Quand je réécoute Tubular Bells et Hergest Ridge [1974], » dit-il, « Ça sonne comme à l’époque. Pour commencer, j’utilise les cinq ongles de ma main droite, sans médiator, j’ai donc un son très pur. C’est pour cela que les gens ne me voient pas comme un guitariste. Lorsqu’on me voit en vidéo, je ne parais pas faire grand-chose.
« J’utilise beaucoup de notes celtiques gracieuses » ajoute-t-il. « J’utilise le vibrato ; je pense que Robert Fripp était le seul à le faire aussi. Je fais souvent glisser la note sur le manche, ou je bloque la corde avec ma main droite pour donner ce déclic caractéristique. Et souvent, je joue une note avec beaucoup de puissance pour démarrer une mélodie. »
Étonnamment, connaissant la complexité des multi-pistes de ces premiers albums, cette période n’a vu Oldfield joué qu’une seule guitare électrique : une Telecaster de 66, décapée de sa finition Olympic White, modifiée avec un micro central Bill Lawrence et une inversion de phase, et jouée soit sur une boite de direct soit sur un ampli Fender Twin Reverb pendant les sessions aux Studios du Manoir d’Oxfordshire.
« Tout a été joué avec cette Tele, » confirme Oldfield. « Lorsque que j’ai commencé avec ma sœur, notre agent travaillait pour Marc Bolan, qui venait juste de recevoir des guitares électriques très élaborées faites par Zemaitis… Notre agent m’a donné cette vieille Tele blanche ; j’étais sur un petit nuage à l’idée d’avoir ma propre guitare électrique.
« Ce fût toujours cette guitare de Tubular Bells à Hergest Ridge, » ajoute-t-il. « Ce que je n’avais pas à l’époque – jusqu’à Ommadawn – c’était le son virulent de la Gibson. Je me rappelle, quelque part au milieu des années 70, j’avais de l’argent à dépenser. Alors je suis allé à Denmark Street, j’ai payé quelques centaines de livres, et je suis reparti, fier d’être le nouvel acquéreur d’une Gibson SG de 69 ».
Oldfield répondrait bien à toutes nos questions au sujet de Tubular Bells et Hergest Ridge, mais nous sentons qu’il nous dirige plutôt vers Ommadawn et 1975, le troisième album qu’il décrit comme « une authentique pièce musicale, plutôt qu’une production – faite par des mains, des doigts et des ongles. »
Le virage d'Ommadawn
Comme précédemment, même si l’album se présente sur deux longues fresques s’étalant sur chaque face du vinyle, cette sortie fût un nouveau départ musical, nappant une atmosphère musicale pastorale où les influences irlandaises et africaines s’entremêlent et que les curiosités acoustiques tels que le bodhrán et la mandoline sont contrebalancées par le rugissement des P-90s.« J’avais plutôt un bon Twin Reverb, » se rappelle-t-il, « J’augmentais le gain et au lieu d’un solo, je jouais juste une note ou deux à la SG – puis j’arrêtais. Je n’avais jamais entendu un guitariste faire ça avant. Ommadawn a été enregistré dans ce petit refuge au sommet d’une colline donnant sur les montagnes galloises. Il y avait beaucoup de vent et du tonnerre. »
L’obscurcissement du ciel était tout un symbole. Alors que les sessions d’Ommadawn commençaient en janvier 75, le téléphone annonça une terrible nouvelle : la mère d’Oldfield s’était suicidée. Le guitariste se décomposait. Un homme renfermé par nature – dans ses premiers concerts il se souvient « trembler tellement que la guitare était secouée dans tous les sens » - la frénésie de la célébrité l’avais conduit « aux portes de la folie totale. »
Cependant, il était parti trop loin pour tout arrêter. « Après Tubular Bells, Hergest Ridge et Ommadawn, il y eu une énorme pression sur moi pour que je rapporte de l’argent à la maison de disque. Au départ, c’était un label individuel, puis ils ont eu l’opportunité de signer ces… selon moi, ce n’était que des criards maigrichons. Mais cela était vu comme révolutionnaire, peu importe ce que cela veut dire. »
Vous parlez du mouvement punk anglais ? « Oui, je crois que ça s’appelait comme ça. Le label a fait ça pour améliorer son image, vraiment. Et tout le monde sautait dans le train. La musique progressive fût jetée à la poubelle. Je devais en quelques sortes survivre dans cet environnement, et au lieu de m’accrocher à ma véritable personnalité, j’ai dû faire la même musique que tout le monde. »
Aujourd’hui, Oldfield est franc au sujet de son catalogue de milieu de carrière, admettant s’être « perdu en chemin » tandis qu’il suivait le mouvement à travers les décennies. Pourtant, c’était toujours un succès, notamment les tubes comme son Moonlight Shadow de 1983, avec ses rugissements électriques et son rythme viscéral.
« C’est très sympa de frapper une guitare acoustique, » affirme-t-il. « Moonlight Shadow était construit autour d’une solide Ovation et je la malmenait vraiment à mort. Nous avions un fantastique batteur, Simon Phillips, la charleston et la guitare acoustique étaient entremêlées pour donner cette puissante piste de fond. Même avec des voix plutôt folks, la base restait furieuse.
« Si j’avais essayé de prendre un autre guitariste pour jouer cela, il aurait balayé ça trop mollement. Le son de l’acoustique peut vraiment paraitre peureux. Vous devez réellement l’attaquer. Ça prend beaucoup d’énergie de jouer aussi fort. » Vous êtes-vous adoucit depuis ce temps ? « Pas lorsque je joue. Mais probablement dans ma personnalité. »
Connais-toi toi-même
C’est certain, Oldfield semble plus posé que le raveur quarantenaire qui aurait pu être repéré en perdition dans les clubs d’Ibiza à la fin des années 90.Il y a cinq ans, c’était même devenu comme s’il avait atteint le statut d’ancien homme d’État, alors que sa performance à la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympique, réalisé par Danny Boyle, l’avait exposé à une audience de 900 million et avait boosté ses ventes de 757 % dans la nuit.
« C’était comme une reconnaissance pour tout ce que j’avais fait. Alors ça m’a redonné confiance. Il n’y avait qu’un seul chemin à prendre, » réplique-t-il. « Les bas-fonds ».
Ça parait rustre d’inculquer les tragédies qui ont préfacées Return To Ommadawn à sa réalisation, mais Oldfield admet sans hésiter avoir trouvé une catharsis à travers cette œuvre, tout comme cela avait été le cas dans les années 70.
« Au début, j’étais capable d’externaliser mes émotions. Il y a des passages de Tubular Bells qui illustrent le paradis, avec les chœurs et les mandolines. Avec Ommadawn aussi. Pour Return To Ommadawn, quelque chose de similaire s’est produit. Ça nous réduit à qui nous sommes vraiment et ce que l’on ressent en tant qu’être humain. C’est ce qui ressort de la guitare. Si vous jouez quelque chose parce qu'Eric Clapton l’a fait, vous n’allez pas donner beaucoup de vous-même. C’est comme si vous connectiez votre jeu à vos émotions les plus profondes. »
Return To Ommadawn revisite plusieurs marques de fabrique de Mike Oldfield. Ces deux épopées instrumentales s’étalent gracieusement entre les sonorités et les cultures, offrant des chœurs vibrants, des tambours africains, des rythmes flamencos frénétiques et des lignes électriques s’incrustant comme dans du beurre. Ça prend du temps de composer cette musique, reprend-il.
« Une chose importante pour moi, ce sont ces nouveaux écrans d’ordinateur en haute définition 4K, qui vous permettent de voir la fresque en entier, d’un seul coup, sans avoir besoin de faire défiler l’écran. J’ai commencé avec un vieux métronome, puis j’ai juste joué autour de ça. »
« Lorsque j’ai démarré l’album » poursuit-il, « j’ai ressorti les acoustiques, je sentais que je pouvais encore en jouer. En fait, j’ai appris si jeune – j’étais déjà assez bon à 11 ou 12 ans – ça fait partie de mon ADN.
« Un des problèmes était la dureté des extrémités de ma main gauche. Elles étaient redevenues moles, alors ça faisait mal. Et mes muscles s’étaient un peu ramollis au fil des ans. Je suis un soixantenaire maintenant. Donc j’ai dû m’entrainer trois semaines à la guitare, pour me remettre en condition. Mais la technique était toujours là. »
Return To Ommadawn
Malheureusement, le matériel ne l’était plus, lui. Après « une drôle de période » post-an 2000, il décida de revendre tout son studio et enregistra Light + Shade en 2005 entièrement sur ordinateur.Cherchant à reproduire le son du Ommadawn original, Oldfield a acheté une mandoline, un ukulélé et un bodhrán. Tandis que pour la plus part du travail à l’acoustique, il a utilisé une Andy Manson Heron, avec son énorme format, sa table en épicéa chenillé et sa caisse en érable flammé.
« Elle est géniale, » dit-il. « Vous savez qu’un être humain a fabriqué cette objet à partir de véritable bois, à la main, après des années d’expérience. Elle n’est pas sortie d’une simple usine. Pour les parties espagnoles, il y avait cette Paco De Lucia signature que j'avais depuis 20 ans. Je ne voulais pas que ces parties sonnent trop parfaitement ; je voulais qu’elles paraissent spontanées et humaines, y laisser les imperfections. »
De même pour les passages électriques, Oldfield s’est mis à la recherche de vieux matériel. « J’avais appris récemment que Gibson avait ressorti la SG avec les mêmes micros que j’avais utilisé, les P-90s. C’est une très bonne réplique, presque aussi bonne que l’originale. Mais le rendu était toujours compliqué. Aucun module complémentaire que j’ai pu trouver ne sonnait correctement. Il n’y a pas toujours de substitut aux choses réelles.
« La seule chose qui sonnait comme sur Ommadawn était un ampli Boogie Mark Five: 35. Pour la guitare principale, j’ai pris la Gibson, je l’ai branché dessus, augmenté le gain – et c’était bon. Pour certaines guitares de fond, j’ai utilisé le Eleven Rack de Pro Tools.
« Vers la fin de la Partie 2, » poursuit-il, « il y a une longue section à la Gibson, presque toute seule, jouant des lignes de mélodies. C’est presque comme un acteur Shakespearien qui récite avec puissance et émotion, très doucement. Être capable de jouer une note avec puissance, puis laisser un grand trou sans que cela ne devienne ennuyant et insignifiant est quelque chose que je pense avoir réussi sur cet album. »
Des sons naturels
Pensez-vous que votre touché à la guitare électrique est aussi sûr aujourd’hui qu’auparavant ? « Par chance, je peux encore jouer, » répond Oldfield. « J’essaie de me détendre. Je voulais placer des accords risqués, en 7ème et 6ème majeur. Mais je ne suis peut-être plus aussi rapide qu’avant.« Il y avait cette petite partie rapide sur l’original d’Ommadawn, qu’on a fait lors d’un concert – c’était comme si le groupe m’en avait voulu. Ils l’amorçaient à un niveau jouable. Puis ils accéléraient, jusqu’à la fin, jusqu’à ce que je me dise ‘Argh, bon sang, laissez-moi en paix !’ Mais j’arrivais à le surmonter. Je ne pense pas que je pourrais jouer aussi vite aujourd’hui. »
Pour le meilleur et pour le pire, les temps ont changé. 42 ans après Ommadawn, Oldfield est conscient que cette suite émerge au milieu d’une scène musicale commercialement différente.
« Quand tous les synthétiseurs et les séquenceurs ont commencé à sortir dans les années 80, » soupire-t-il, « ils étaient tous très excitants et je pensais que ça nous amènerait quelque part. Là où ça nous a conduit c’est que nous avons désormais de la musique faite par intelligence artificielle – on n’a plus qu’à appuyer sur des combinaisons de boutons. Vous pouvez créer des musiques parfaites, mais toutes sonnent de la même manière. Je peux vous dire que lorsqu’un ordinateur fait quelque chose de parfait, je reste totalement éteint.
« La musique que nous avons maintenant, » poursuit-il, « c’est bien, mais c’est comme si vous aviez pris tous les aliments qui avaient déjà été consommés dans le monde, et que vous les condensiez dans un porridge que tout le monde mangerait. Il n’y a rien de spécial là-dedans. Il n’y a rien de mal à ça, mais il doit y avoir des défauts. C’est pour cela que j’ai laissé beaucoup d’imperfections sur Return To Ommadawn. Il y a des morceaux où une note est oubliée, ou est un peu à contretemps. Ce n’est pas grave. Ce qui est important est que la musique ait de la puissance, de l’âme et de l’esprit. Elle est vivante. »
A l’époque où la satisfaction immédiate est un leitmotiv, aucun réaliste ne se serait attendu à ce que Return To Ommadawn concurrence Tubular Bells, mais se retrouve plutôt face à des ventes fragiles et difficiles. Oldfield hausse les épaules. Cet album a délivré sa propre vision, achevé son réveil musical et tracé une ligne dans ses jours les plus sombres.
« Si j’avais tenté de faire quelque chose de commercial, ça aurait été un désastre. Cet album me correspond vraiment. C’est intéressant de voir que la même personne est toujours là. Elle a juste besoin d’être réveillée à nouveau… »
par Henry Yates (Guitarist), publié le 22 septembre 2017
Interview à retrouver dans sa version originale sur MusicRadar.com
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