Jean-Luc Mélenchon veut proscrire les sondages deux mois avant les scrutins importants. Cette volonté de casser le thermomètre a peu de chance de faire tomber la fièvre sondagière. Le dommage, certes, ne serait pas très grand : vu le nombre d’hésitants dans l’électorat, les sondages publiés en ce moment ont une valeur prédictive toute relative. Faut-il rappeler, aussi, qu’ils ne prévoient pas l’avenir mais le passé ? C’est-à-dire l’état de l’opinion deux ou trois jours avant leur publication et non deux mois après.
La proposition du candidat «insoumis» se heurte néanmoins à quelques contradictions. Au début de l’année, les mélenchonistes annonçaient la mort du PS. Entre nous et Macron, disaient-ils en substance, il n’y a plus grand-chose. Sur quoi se fondaient-ils, sinon sur des sondages qui plaçaient le futur candidat socialiste au-dessous de 10% et Mélenchon au-dessus ? Depuis que Benoît Hamon se situe dans les enquêtes à environ 14%, et donc devant Mélenchon, cette rhétorique a pratiquement disparu au profit d’une sorte de pacte de non-agression. L’interdiction aurait aussi un effet pervers : interdits au public, les sondages seraient réservés aux états-majors politiques et au petit cercle des sachants. Mélenchon, selon toutes probabilités, connaîtrait leurs résultats, mais pas ses électeurs. A moins qu’il ne détourne pudiquement ses regards de ce spectacle offensant. Cachez cet Ifop que je ne saurais voir…
Enfin, et plus important : pourquoi faudrait-il laisser les électeurs dans l’ignorance de ces reflets de l’opinion imparfaits, mais néanmoins intéressants si on en use avec précaution ? Les électeurs votent pour les candidats de leur choix, mais aussi, dans certaines circonstances, contre ceux dont ils ne veulent à aucun prix. Nous y sommes : beaucoup d’électeurs de gauche sont prêts à voter PS ou Front de gauche mais ils veulent aussi, et peut-être surtout, empêcher un deuxième tour Fillon-Le Pen. Si Hamon ou Mélenchon sont bien placés pour le deuxième tour, ils peuvent voter pour l’un ou l’autre. Mais si leurs chances sont trop minces, le vote utile se déplacera sur Macron, par un calcul réaliste et, somme toute, assez légitime quand on veut éviter le pire. Et comment le savoir, sinon en regardant les sondages ? En démocratie, l’ignorance est toujours un handicap.
Et aussi
• Avec un cynisme assumé, François Fillon, et Marine Le Pen
ignorent superbement les enquêtes diligentées contre eux par la justice, qui commet l’horrible crime de faire son travail. Ce mépris de la loi est hautement répréhensible. Mais il faut craindre qu’il soit partagé par beaucoup d’électeurs, qui conservent leur soutien à ces deux candidats malgré les affaires. L’explication, au fond, est assez simple : ils préfèrent des candidats soupçonnés de malhonnêteté qui défendent leurs idées plutôt que des candidats honnêtes qui défendent celles des autres. Le cynisme n’est pas le monopole des leaders…
• Les socialistes s’interrogent sur la primaire, dont les effets secondaires sont cette fois-ci troublants. De Rugy et
Valls refusent de parrainer Hamon, auquel ils avaient pourtant promis implicitement ou explicitement leur soutien. Alors à quoi bon voter ? Problème : s’il n’y a pas de primaire, le parti décidera de nouveau tout seul. Est-on certain que ce sera plus démocratique ?
• Damien Abad, député LR, voit dans la mise en examen de François Fillon
«la fin d’une épée de Damoclès». Etrange argument. L’épée, en effet, n’est plus suspendue au-dessus du crâne de Fillon,
puisqu’elle est tombée.N’était-ce pas ce que craignait Damoclès ?
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