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Entretien avec Lucas Belvaux pour la sortie de "Chez Nous"

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Entretien avec Lucas Belvaux pour la sortie de "Chez Nous"

« Je ne suis pas de ceux qui disent « je partirai s’ils arrivent au pouvoir ». Je pense au contraire qu’il faut rester. » Entretien avec Lucas Belvaux à Paris le 13/02/2017, avant la sortie nationale de « Chez Nous » le 22/02/2017.
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Entretien avec Lucas Belvaux et André Dussollier, à Paris le 13/02/2017, avant la sortie nationale de « Chez Nous » le 22/02/2017, le film qui fait grincer des dents le Front National, sans même l’avoir vu.
« Chez Nous » sort en pleine affaire Fillon qui contribue à faire augmenter les intentions de vote en faveur du Front National. Dans ce contexte qu’attendez-vous du film ?
C’est difficile de mesurer l’impact. Il y a des jours, je suis angoissé à l’idée que le film pourrait même les renforcer quelque part. Ils jouent tellement sur l’affrontement entre les élites, la diabolisation qu’on serait censé leur faire. Je me dis que quoi qu’on fasse, cela apporte de l’eau à leur moulin. Donc par moments, cela m’inquiète assez. D’un autre côté, j’ai fait le film pour faire un portrait le plus objectif possible du parti. C’est un peu l’effet Dracula : quand on met de la lumière dessus, peut-être qu’on le révèle pour ce qu’il est vraiment. J’ai essayé de montrer le parti tel qu’il est vraiment, ce dont on ne parle plus tant que ça, c’est-à-dire son ADN idéologique épouvantable. C’est vrai qu’on en parle encore beaucoup dans les médias mais ça n’a plus de prise sur les gens. Je me suis dit que par le biais de la fiction, cela serait plus accessible que par les documentaires.
Le film fait cohabiter les deux générations du Front National. Vous montrez aussi des éléments plus radicaux. J’y ai vu un lien avec les Identitaires dont certains sont adoubés par le Front National. Est-ce intentionnel ?
Bien sûr. Il y a toujours eu des liens organiques avec les tendances les plus dures et extrémistes avec le Front National, même dans sa période de dédiabolisation. Il y a eu deux temps dans l’histoire du parti : le moment où il faut rassembler toutes les extrêmes droites, toutes les mouvances en un seul mouvement national comme ils disent. Puis il y a le moment de dédiabolisation où il faut élargir le spectre des électeurs ou des militants. Mais en même temps on ne peut pas se couper de la première partie puisque ce qui fait tenir le parti ensemble c’est cette idéologie et ce noyau dur dont les identitaires font partie. Il faut garder les plus visibles, les plus effrayants et les plus durs en marge tout en intégrant les plus présentables quitte à les faire changer de costume. Depuis pas mal d’années, le Front National donne une deuxième vie, permet de réintégrer dans le circuit politique des gens qui n’y avaient pas leur place.
CHEZ NOUS Bande Annonce du Film (2017) © FilmsActu
La question que semble poser le film est celle de l’absence de cadres : c’est l’objet de la candidature de Pauline. On a ce sentiment que c’est la problématique du Front National. Est-ce que vous n’avez pas l’impression que c’est cette absence de cadres qui limite le Front National dans son accession au pouvoir ?
Bien sûr. C’est leur problème existentiel, c’est-à-dire même leurs cadres ne sont pas à la hauteur. On n’imagine pas Florent Philippot Premier Ministre ni Bruno Gollnisch Ministre de la Justice ou de l’Education. Leurs cadres sont soit peu formés ou soit avec tellement peu d’expérience, soit sont tellement bloqués idéologiquement que cela devient du clivage psychanalytique, qu’aucun n’est crédible à un poste de direction gouvernemental. Mais on en a vu d’autres dans d’autres partis avec des gens pas nécessairement prêts. Après, le problème est à tous les niveaux y compris à la base ils sont obligés, pour constituer des listes, d’intégrer des gens qui, la veille, n’avaient aucune idée qu’ils y seraient. Dans un documentaire de Paul Moreira, « Danse avec le FN », on voit cela : ils intègrent les gens sur les listes pendant le porte-à-porte et en deux minutes on leur propose d’être sur la liste parce qu’ils manquent de candidats. Au bout de deux ans, ils perdent plus de 25% de leurs listes.
Et on se retrouve avec des Identitaires cadres du parti, proches de Marine Le Pen…
Oui, c’est une autre de leur caractéristique. Il y a ce que j’appellerai la mouvance opportuniste du parti, ils savent qu’il y a des ascensions très rapides alors que dans d’autres partis classiques, il faut plusieurs années pour être en position éligible sur une liste. Au Front national on peut se retrouver sur une liste au bout de quelques mois. On peut être adjoint au maire après 6 mois de militance dans le parti ce qui est unique dans les partis en France aujourd’hui. Mais du coup, il y a peu d’expérience. Et puis il y a ceux qui sont sûrs idéologiquement et ceux qui présentent bien : les deux sont les bienvenus.
Le personnage de Pauline montre que, contrairement au personnage de Nathalie, l’adhésion au Front National n’arrive pas par une porte d’entrée xénophobe ni même par une adhésion aux idées…
Parfois, les gens n’adhérent pas au Parti pour des idées. Il y a une dimension de « déni indéniable » pour le coup! Il y a les électeurs de bonne foi qui pensent que tous les autres partis ont échoué, que gauche-droite c’est pareil, qu’ils ont tous la même politique. Du coup pour renverser la table, il faut voter pour le Front National : ce sont des personnes qui peuvent être généreuses comme le personnage de Pauline qui pense que le Front National peut changer les choses. Il y a certaines personnes de FO, de la CFDT, avec un engagement militant de longue date qui, tout à coup pratiquement sur un coup de tête après la fin d’une lutte syndicale qui finit mal comme à Florange se mettent sur une liste Front National. On le voit à Hayange avec Marie Da Silva alors qu’elle est plutôt d’une sensibilité de gauche et syndicaliste et puis elle démissionne quelques mois après. Mais peu importe, elle l’a fait cet engagement. Ceux-là sont de bonne foi.
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Ensuite, il y a l’engagement névrotique, comme Nathalie qui est une Madame Bovary des Cités. Il y a un tel ressentiment par rapport à la vie, dans ce qu’elle vit, que tout l’agresse. Son envie de renverser la table est intime et personnelle mais se traduit de cette manière. C’est ce qu’on voit dans les reportages, les micro trottoirs avec des gens qui en ont marre qu’on leur donne des leçons, qu’on les abandonne alors qu’elle est prof donc socialement elle a de quoi vivre mais je ne dis pas non plus que c’est facile. Ces personnes se sentent abandonnées, oubliées, seules, en première ligne. A un certain moment, la colère et le ressentiment sont tels qu’ils votent pour faire chier les autres qui n’entendent pas, ce n’est pas un vote d’adhésion. C’est une manière de se faire entendre, d’être visibles : c’est un vote névrotique. Enfin, il y a le vote d’adhésion raciste, antisémite qui est l’ADN du Parti qui est le même depuis 150 ans.
Le personnage de Stanko fait renvoi aux mouvances d’extrême droite belge, aux Identitaires…
Oui, mais même au sein des Identitaires, des mouvements sont en désaccords. Le Front National est un agrégat de plein de mouvances d’extrêmes droites très différentes idéologiquement : cela va des catholiques ultra-traditionnalistes jusqu’aux païens, les néo-païens, les antisémites, les philosémites proches de l’extrême-droite israélienne …
Oui, mais est-ce que finalement Marine le Pen ne bénéficie pas de ces mouvances-là parce qu’elle a déjà en place une structure consolidée entre elle et son père et irradiée par sa seule présence ?
Oui, elle bénéficie d’un effet dynastique : elle représente la ligne légitimiste du parti et ne néglige pas les autres mouvances, les soigne. Quand elle ne le peut pas, sa nièce s’en charge. Par conséquent, on garde une unité au sein d’une extrême-droite composite. Ce qui est intéressant c’est que dans un moteur de recherche, quand on cherche « Front National » ou Marine Le Pen, on peut trouver en deux clics plusieurs sites d’une très grande violence. Le lien est très solide entre Le Pen et les autres mouvances.
Malgré les documentaires, les films comme « Un Français » de Diastème, comment expliquez-vous que les adhésions continuent d’affluer ?
D’une part parce que les Identitaires ou le noyau dur idéologique du FN y sont complétement clivés et ne s’en sortiront jamais. Des gens qui se réclament encore aujourd’hui de Pétain et Maurras ne changeront plus, leurs pensées sont fossilisées. Cela durera peut-être jusqu’à la fin des temps sous une forme ou une autre. Pour les autres, le Front National est un parti manichéen stricto sensu on est contre eux ou avec eux. Si on est dans le mouvement on est dans une sorte de citadelle assiégée. Tout ce qui vient de l’extérieur est forcément une atteinte à leur intégrité, à leur dignité, leur patriotisme, on est des ennemis de la France. On est forcément judéo-maçono-bolcho-islamophile, c’est ce qu’ils appellent des islamo-gauchos. On est des islamo-gauchos ! Tout les agresse, c’est un repli identitaire au carré.
Vous faites quoi si Marine Le Pen est au second tour ?
Elle y sera… Mais il ne faut pas qu’elle gagne ! Si elle gagne, ils me feront la misère, je ne serais pas bien vu mais cela n’est pas très grave. Mais je ne suis pas de ceux qui disent « je partirai s’ils arrivent au pouvoir ». Je pense au contraire qu’il faut rester.
Alors on se revoit à votre prochain film ?
C’est la première fois en 25 ans que je n’ai pas d’idée pour le prochain film. C’est un film important avec une ambiance particulière sur le plateau où chacun y met de sa personne, il y a eu des choses difficiles à dire pour les acteurs, difficile à mettre en scène pour moi, difficile à filmer pour les techniciens. La scène avec les petits roms n’a pas été facile, très violente. Ce sont les roms qui sont là avec nous et peut-être qu’ils ont vécu ce qu’on leur a fait faire…
Laura Tuffery
Interview réalisée le 13/02/2017 à Paris
Article mis en ligne le 17/02/2017 sur www.culturopoing.com
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